J'ai une grosse casquette qui m'tient chaud à la tête. Ça m'donne une belle silhouette et j'crains plus la tempête.

Publié le par Tzvetan Liétard

Une petite panne la semaine dernière, j’avais pourtant le texte globalement prêt. Ce compte-rendu vaudra donc pour deux semaines.

 

De vrais mensonges a fonctionné. Il est allé dans une direction un peu casse-gueule qu’il a assumée. Ce qui a été reproché à des personnages par certains spectateurs pour des raisons morales (je fais ce que je peux pour n’en point trop dire) m’a réjoui.
Je n’ai vu aucun film de Pierre Salvadori de la décade passée. Les Apprentis vus pour la dernière fois il y a dix ans garde une place chère à mon cœur, Cible émouvante et Comme elle respire moins marquant font partie de ce petit cycle réunissant Guillaume Depardieu et Marie Trintignant. C’est peut-être pour ça que je n’avais pas osé regarder un film de Salvadori pendant si longtemps.
Dans mon souvenir, ses films décrivaient des personnages attachants et souvent fantasques. Ici le trio des personnages interprétés par Audrey Tautou, Nathalie Baye (sa mère esseulée) et Sami Bouajila (son soupirant anonyme) sont plutôt des archétypes de comédie ce qui a fait que certains y ont reconnu du Marivaux et du Molière. La performance d’Audrey Tautou m’a fait penser qu’elle serait pour l’Écume des Jours une erreur de casting aussi grande qu’Arletty pour  les Enfants du Paradis (ce qui au final peut s'avérer positif pour la Tautou).

Colloque de chiens reprend le principe narratif de La Jetée (le principe du photo roman), ce qu’ils ont en commun ainsi que le thème de l’inéluctabilité et du bégaiement de l’histoire. En dehors de cela ce film est clairement un film de Ruiz : grotesque, dérangeant et parfait. Impressionnant et cauchemarrant.


Colloque de chiens (Raoul Ruiz, 1977, KINOTE) from jeanne dielman on Vimeo.

 

Les films hollywoodiens des années 50 m’avaient manqué. Je suis heureux d’y revenir. 

Les personnages du Vent dans la plaine étaient particulièrement violent. C’est une Prisonnière du désert à l’envers. Une mise en scène inquiétante, presque métaphysique (les errances dans la tempête). Le visage poupon d’Audie Murphy affublé d’une moustache le rend plus dur. Parmi les raisons qui me font aimer ce film (comme beaucoup de westerns), c’est sa capacité à montrer des personnages froncièrement racistes et à les faire comprendre du spectateur sans pour autant l’obliger à adhérer à ce racisme. Il serait d’ailleurs absurde d’y voir un plaidoyer pour le racisme, mais plutôt un constat désespéré sur l’humanité.
Lire aussi cet article de Teppepa.

En revanche, Le sergent noir est bien un plaidoyer contre le racisme. Vingt ans après l’abolition de l’esclavage. L’affranchissement est loin d’être consommée dans beaucoup d’esprits. Peut-être à voir avant Django (que j’ai raté). Les blanc-becs qui ouvrent et clôturent le film sont bien moins intéressants que le Sergent Rutledge mais cela confère à ce personnage une sorte de mystère (venu de nulle part et n’allant nulle part).
On a l’impression d’une certaine désinvolture dans l’écriture, la mise au point de la structure de ce film de procès, comme si les séquences de flashback avaient été tournées avant et qu’on cherchait un moyen de les assembler. Cette désinvolture est dénoté par le comportement des juges qui jouent de ce comique si typique de seconds rôles de Ford et qui se mêle à une gravité liée à leur fonction (comme ici) ou à leur destin (lorsqu’ils meurent) et à l’absence apparente d’instruction du procès (les faits n’ont pas l’air d’avoir été établis au préalable). Cette désinvolture inquiète dans la mesure où le sort de l’accusé dépend des blancs (la conviction et le sens de la justice de son défenseur – présent lui aussi dans the Searchers avec un regard réprobateur – et la hargne du procureur. Cette désinvolture est sans doute le signe d’une maîtrise (de même le trait de Pratt qui passe d’un académisme proche de Milton Caniff à un trait plus personnel dans lequel on retrouve tout de même son expérience). La preuve de l’attention portée à l’histoire, je la vois dans ce motif que recherche l’enquêteur parfois sans le nommer (le spectateur n’a pas besoin de trop de sagacité pour le découvrir).
J’ajoute qu’une séquence m’a rappelé la Nuit des Morts-Vivants : celle qui raconte la rencontre du Braxton Rutledge et de la jeune femme qu’il protège dans une gare isolée au milieu de nulle part.
Lire aussi cet article d’Inisfree.

Surveillance est une histoire de tueurs psychopathes bien raconté avec une jolie tapisserie/papier peint dont on causera vraisemblablement ici. Il paraît que le film reprend le principe de Rashomôn, mais c’est faux : la variation ne réside pas entre les points de vue mais entre l’image relativement "objective" et la parole qui l’illustre. Procédé qui peut trouver une justification dans un twist final.

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Image relativement récurrente
dans certaines séries et films
dont on causera vraisemblablement ici.

 

C’est une bio de Louis Jouvet* qui m’a rappelé que j’avais sous la main L’Odyssée de Charles Lindbergh :

Parfois, il retrouve Lisa Duncan [fille adoptive d'Isadora], parfois il rentre, le plus souvent à pied, rue Bonaparte. Le théâtre nourrit son esprit mais le succès tarde. En ce moi de mai, les parisiens ne jurent que par un aviateur Américain qui vient de traverser l’Atlantique. Le 21 mai à 22 heures 22, Lindbergh atterrit au Bourget après avoir survolé l’Irlande, l’Angleterre, la Manche et la Normandie. 200 000 spectateurs, parmi lesquels Else [son épouse], Anne-Marie, Jean-Paul et Lisa [ses enfants], acclament à la sortie de son appareil un Charles Lindbergh coiffé d’un chapeau de paille ! Il a franchi six mille kilomètres en 33 heures 30, à la moyenne de 179 km/h ! L’enthousiasme d’une foule éprise de sensations et de rêves se déchaîne. Le Journal Le Matin consacre sa première page à ce formidable et admirable exploit. Dans la même édition, en rubrique « spectacles », pas une ligne sur la Comédie des Champs-Elysées.

C’est la seule superproduction que je crois connaître à Billy Wilder (même si Ace in the Hole et the Apartment manipulent aussi la foule, ils ne sont pas en technicolor, peut être que The Private Life of Sherlock Holmes a aussi nécessité de gros moyens). Je me demande donc quelle fut la nature de son implication dans le projet. En tout cas le film était réussi : les flashbacks pas aussi nombreux que le dispositif narratif pouvait le laisser craindre, et la voix off à l’avenant : une séquence muette m’a fasciné.
Les séquences de construction de l’appareil (contenues dans un flashback) et la séquence du départ que le personnage de Lindbergh, après une nuit d’insomnie, n’avait pas l’air de réaliser m'ont particulièrement satisfait. La structure du film tient en trois temps :
- la nuit d’insomnie précédant le départ,
- le départ (continuité admirable entre la première et la troisième partie)
- le voyage.

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La deuxième semaine a pour lien de continuité avec la précédente Bill Pullman, interprète de The end of violence que je suis content d’avoir vu après Surveillance. À part Andie McDowell agaçante avec ses mimiques qu’aurait magnifiquement parodiées Chantal Lauby, j'ai plutôt aimé ce film. Il y a avait une séquence en champ/contre champ dans laquelle ses réactions d’auditrice censée écouter ne semblaient pas du tout adaptées à la situation, d’où mes soupçons selon lesquels elle jouait sans savoir ce qu’elle écoutait.
Le thème contenu dans le titre m’a paru traité plus frontalement dans Watchmen, la bande-dessinée de Moore et Gibbons, je n’ai donc pas eu à regretter ce non traitement. Atmosphérique, le film réalisé par Udo Kier semble l’adaptation d’un tableau d’Edward Hopper, les éclairages rappellent les derniers Fassbinder (Lola).

La deuxième semaine a pour lien de continuité avec la précédente le thème du racisme avec Le mur invisible, qui décrit les phénomènes de l’antisémitisme avec une analyse plus profonde que celle qu’on a pu voir dans Crossfire, il y a bien longtemps (le même mois que les Apprentis – j’habitais rue de Toulouse à Rennes). La séquence avec le professeur Fred Lieberman (interprété par Sam Jaffe), didactique, fait mouche. Elle interroge frontalement sur la question de la Palestine (certes, en 1947), mais surtout, elle rappelle simplement que ce ne sont pas les Juifs qui sont responsables de l'antisémitisme. Ce personnage de professeur dit quelque chose comme "Moi, athée, américain, s'il n'y avait pas d'antisémitisme, je n'aurais probablement pas conscience d'être Juif."
Ce qui arrive au fils (interpr
été par le jeune Dean Stockwell) de Schuyler Green (encore un prénom impossible pour Peck) est possible dans un film qui peut se permettre d'expérimenter des mises en situation pour voir où cela peut mener serait moralement problématique.  Si le cinéma peut servir à révéler certaines choses, tant mieux.

Je trouve dans un jour au cirque tout ce que j’aime chez les Marx Brothers, notamment les numéros musicaux et la folie destructrice de Harpo. Ce personnage est effrayant (un peu moins ici) et donc réjouissant.

Grimé en Méliès, j’ai pris Malavoy pour Etaix à cause de sa gestuelle de film muet dans le Cauchemar de Méliès.

Je découvre enfin Joris Ivens avec Pluie, une œuvre datant d’avant Misère au Borinage qui l’a révélé si je ne m’abuse pas. La succession de plans intrinsèquement poétiques (ça veut dire que chaque plan est beau pour son motif et donne envie de lire L’eau et les rêves, 1941) rappelle la technique de Человек с киноаппаратом. La jolie musique de Larry Marotta rappelle celle de Marcel Dadi ou Soig Siberil.

 

Supercinema77

La nouvelle vision de Sept Psychopathes m’a rappelé la troisième référence à la France dans cette réplique de Billy (Sam Rockwell) à Marty (Colin Farell) « The Spanish have got bullfighting, the French have got cheese and the Irish have got alcoholism », ce à quoi Marty demande ce qu’on les Américains, la réponse de Billy étant la tolérance. En le revoyant (dans de meilleures conditions, pas à deux mètres de l’écran ni de biais, ni avec des gens qui bavardaient comme à la terrasse d’un café), le film qui m’avait déjà fait plaisir m’a paru encore meilleur, les détails qui m’avaient déplu, je les avais simplement mal compris. Les yeux de Tom Waits lorsqu'il raconte son histoire ! L’affiche ment : il y a au moins trois personnages qui ne sont pas des psychopathes : Colin Farrell et les deux personnages féminins. 

 

De vrais mensonges, Pierre Salvadori, 2011

Colloque de Chiens, Raul Ruiz, 1977

The Unforgiven, John Huston, 1960

Sergeant Rutledge, John Ford, 1960

Surveillance, Jennifer Chambers Lynch, 2008

Spirit of St. Louis, Billy Wilder, 1957

At the circus, Edward Buzzell, 1939

          Le Cauchemar de Méliès, Pierre Etaix, 1988

            Regen, Mannus Franken & Joris Ivens, 1929

7 Psychopaths, Martin McDonagh, 2012

 

 

Les notices vachardes de Georges Sadoul.

Cette semaine, Billy Wilder :

(Vienne 22 juin 1906) Ce boulevardier crépusculaire a bien réussi les comédies légères et les drames. S’il a le sens du ridicule, il ne s’est pas toujours rendu compte de ses propres ridicules** :  Les Cinq secrets du Caire . Formé en Allemagne, il s’est parfois souvenu de l’expressionnisme et du style UFA. Cet ancien scénariste s’imposa après guerre par des films noirs « policiers » :Assurance sur la mort ; un drame de l’alcoolisme :  The Lost Weekend ; un témoignage parfois dégradant sur le vieil Hollywood :  Boulevard du crépuscule ; une satire de la grande presse et de ses mœurs :  le Gouffre aux chimères . Puis il évolua vers de gros vaudevilles dans la vieille tradition européenne et remporta dans ce genre de très gros succès : Sept ans de réflexion, Certains l’aiment chaud,  la Garçonnière . Il a souvent critiqué les mœurs privées ou publiques américaines en frappant toujours deux coups à gauche pour un coup à droite. S’il lui arrive d’être un peu méchant, il n’est pas si bête.

 

*La bio : Louis Jouvet - Biographie, Jean-Marc Loubier, Ramsay, 1986 - Informative, systématique. Je comprends le sens de l'expression pas-à-pas. M'a intéressé.

** Moindres sans doute que ceux de Georges Sadoul, s'il fallait un texte pour en acquérir la certitude, ce serait celui-là.

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